Couvert mon roman

Dans ce chapitre 4, Solange se fait titiller le désir grand D, apprend ce qu’elle doit faire pour que son inspiration ne coule pas à pic, réalise pourquoi elle a deux baguettes chinoises et découvre le désir d’un biscuit chinois. J’ai titillé votre curiosité? Eh bien lisez maintenant :)!

Les désirs occultés d’un biscuit chinois

Par chance, Marie m’a soudain chuchoté qu’elle devait visiter le p’tit coin des besoins à son tour. Vive les toilettes! Ça me donnait un peu de temps à moi pour absorber cette histoire à dormir debout… Mais dès que je l’ai vue descendre les marches pour se rendre à la salle de bains, j’ai été plongée dans un souvenir de Rocheville comme dans une bulle de bande dessinée. J’ai sept ans et des tresses à la Kateri Tekakwita. Je m’enferme dans la chambre de bains, je prends un bout de savon Ivory, et j’écris dans le miroir de la pharmacie des phrases de mon manuel de lecture qui n’ont rien à voir avec ma réalité : Odilon adore Lili, maman lave le rutabaga, papa fait des volutes avec sa pipe. Tant qu’à y être, je m’amuse à broder quelques variations sur thème : Lili fume sa pipe, papa lave le rutabaga, maman adule Odilon. Jouer avec ces mots m’enchante au plus haut point, mais mon frère aîné cogne à la porte pour me faire sortir de là. Comme si j’étais prise en flagrant délit, j’humecte une débarbouillette et j’efface ces fruits défendus à toute vitesse. Est-ce que la soif des mots élixirs m’habitait déjà?

Le retour de Marie m’a éjecté de ma bulle Ivory et m’a fait revenir au présent. C’était le temps de reprendre mon travail de journaliste et de savoir pourquoi elle avait choisi Val-de-Grâce comme destination.

— No lo se. Mais j’priais pour que ton village serait peut-être ma dernière déportation sur terre. Ça m’a enlevé une épine de la couronne de stress.

— Vous me faites rigoler! Ça vous a soulagée si je comprends bien?

— Oui, mais mes craintes étaient pas parties fumer ailleurs. J’savais pas quelle étoile suivre pour trouver ma route dans un corps à corps avec une écrivaine étrangère.

L’écrivaine étrangère était loin d’être certaine de vouloir un corps à corps avec cette martienne!

Tout à coup, Marie a levé les bras et lâché un cri aïgu. À la table derrière elle, quelqu’un avait échappé et cassé un verre sur le sol de ciment noir. Le bruit avait fait une entaille éclair dans le fil continu de la musique orientale qui jouait en arrière-plan. Toutes les têtes se sont tournées en même temps, comme si elles suivaient un joueur de hockey qui patine à toute allure pour rentrer la rondelle dans le filet. Un porte-poussière rouge dans une main, un mini-balai dans l’autre, Ting-Ting est sortie de la cuisine, un sourire clément aux lèvres. On aurait dit une ambulancière qui se précipite au secours d’un blessé. J’ai entendu Marie s’exclamer : « Ah! J’espère que l‘homme s’est pas zigouillé quelque chose! » Elle se souciait de lui comme s’il était un ami proche. Moi, j’étais juste curieuse de voir comment il allait réagir à sa gaffe. Ce contraste m’a poussée à lui demander pourquoi, parmi tous les résidents de Rocheville, elle m’avait choisie, moi.

J’ai été abasourdie d’apprendre qu’un beau soir, le triste visage de mes 11 ans lui était apparu avec mon grand corps gauche, mes prénom et nom de famille, puis mes cahiers d’écriture.

— Ce sont vos cahiers-bouées et la flamme de votre désir grand D qui m’ont allumée.

Bondance! Elle m’avait vue autant dans mon désarroi d’enfant que dans mon amour précoce de l’écriture! Mais ce désir grand D, c’était quoi au juste?

— Désir grand D? En lien avec l’écriture ou un amoureux?

— Ah! Ah! Avec l’écriture amoureuse, mon enfant. Ranimer la batterie de l’inédit pis la flamme du cœur, ça vous sonne des cloches?

J’ai hoché de la tête et émis une faible mmm…

Je ne comprenais pas comment Marie pouvait si bien traduire des aspirations qui m’habitaient obscurément, que j’avais occultées depuis belle lurette. Vers la fin de ma vingtaine, par une belle journée d’automne, j’avais loué un chalet à Val-Morin pour amorcer un vrai projet d’écriture. J’allais confier à Marie que c’est là que j’avais ressenti, pour la première fois, ce désir grand D d’une écriture amoureuse comme elle le disait. Mais son attention a été détournée encore une fois par Ting-Ting qui revenait dans la salle à manger. Marie a fait semblant de sonner une cloche en chantant d’une voix haut perchée : « Ting-Ting, Ting-Ting, Ting-Ting. » Celle-ci est accourue en répondant gaiement, tout essoufflée : « Me voilà, me voilà! »

En plongeant prestement une main aux ongles violets dans le petit sac noir autour de sa taille où étaient son carnet de commandes et son stylo, elle nous a demandé si on désirait autre chose. Avec l’air enchanté d’une enfant devant un nouveau jeu, Marie s’est exclamée : « Oh! Y’a encore autre chose?  J’voulais juste vous dire Bye! Bye! » Après avoir appris qu’elle avait droit à un thé au jasmin et à un biscuit chinois, elle a ajouté : « Vous aimez beaucoup le jasmin ici Ting-Ting? Ça sent trop bon! J’ai jamais été gâtée d’un biscuit chinois! Oui j’en veux merci, merci!»

J’aurais voulu être l’archange qui annonce à Marie que les biscuits chinois contiennent de courts messages divinatoires. Mais Ting-Ting, qui s’ouvrait à son contact comme un tournesol au soleil, m’a damé le pion. Devinez ce que Marie lui a répondu? Eh! oui! « Ôôôh que c’est charmant! »

La serveuse est repartie. Ce n’était pas trop tôt, leurs mamours commençaient à me tomber sur les rognons. Marie ne tarissait pas d’éloges à son égard : « Ah! trop cute avec ses ongles déguisés en violettes! Cette belle jeunesse de Chine, je l’adopterais demain matin! » Ouais, facile d’idéaliser cette belle jeunesse de Chine… immigrée en Occident! Marie avait peut-être été mise au courant de l’histoire d’ici, mais on voit qu’elle n’avait jamais entendu parler de Mao Tsé-Toung et de ses gardes rouges.

Par chance, elle ne s’est pas appesantie sur le sujet. Elle est vite revenue à mon désir grand D.

— Depuis ce vœu vous a glissé du cœur, pas vrai Solange?

Je ne pouvais pas croire qu’elle avait vu ça aussi. Qu’elle soit sainte ou non, c’était une personne hors du commun. Piteuse, j’ai dû lui avouer que c’était vrai. J’étais étonnée de sentir ma voix trembler. Marie a dû se rendre compte de mon émoi. Avec un sourire chaleureux, elle a caressé mon bras.

— Les Poètes Sans Fils m’ont dit que c’était parfait pour nous deux. C’est pas rien que votre souhait en solo qui peut être rassasié par l’alliage de nos coeurs, le mien itou.

L’espoir de donner un second souffle à mon beau désir a surgi sans crier gare. Une nostalgie poignante m’a envahie. Le cœur m’est monté dans la gorge. Malgré tout, j’aimais comment cette Marie parlait des mots élixirs. Ça me réconfortait. Avec elle, j’avais peut-être une chance de retrouver leur magie. Elle m’a ensuite expliqué dans ses mots que, selon ces fameux PSF, chacune de nos rencontres était une réponse et un élixir potentiel. Une sorte de porte d’entrée vers les désirs et les dons de nos cœurs. L’idée me séduisait. Ça réveillait l’espoir de celle en moi qui voulait encore croire à la beauté et l’harmonie du monde.

Mais je ne voyais pas comment mon ex, avec qui je m’étais chamaillée à bouche que veux-tu, pouvait être une porte d’entrée vers les désirs de mon cœur. Même si on était restés amis, je lui en voulais encore de l’échec de notre amour qui avait pourtant commencé comme un conte de fée. Mon Prince charmant s’était peu à peu transformé en crapaud à mes yeux. Depuis, je me sentais comme Cendrillon dont le carrosse s’est changé en citrouille et je cherchais un Prince de rechange. J’avais d’ailleurs remarqué un homme à mon goût en allant aux toilettes. Les cheveux et la barbe d’un beau gris argenté, il semblait bien baraqué comme je les aime. Il mangeait seul, à une table un peu plus loin de biais avec la nôtre, en lisant son Devoir. Depuis, je lui jetais des coups d’œil à la dérobée dans l’espoir qu’il me remarque. Quand j’ai repris la parole, Marie a haussé les sourcils l’air étonnée. Bondance! Sans m’en rendre compte j’avais levé le ton et exagéré mon enthousiasme pour qu’il me regarde:

— Comme ça tout peut devenir un élixir et une réponse à ce que notre cœur désire. On nage en plein conte de fées ici Marie, non?

Avant que je m’enflamme trop, elle a précisé :

— Oui, nos face à face c’est des invitation pour le génie du coeur, mais oubliez pas qu’y faut traverser les trois portillons pour le réveiller, sinon tout va couler à pic et votre inspiration va piquer du nez.

Hey! Comment ça mon inspiration va piquer du nez? Les PSF vont lui lancer des torpilles? J’aimais pas mal moins ces portillons que je ne connaissais ni d’Ève ni d’Adam, et qui menaçaient mon désir d’écrire un livre à succès.

— Vous ne m’aviez pas dit ça! Franchement Marie, je ne sais même pas de quoi les portillons vont avoir l’air, encore moins comment les traverser.

— Moi non plus! Tout ce que les PSF m’ont annoncé, c’est qu’y faut les traverser pour vivre au pays où tout complote pour répondre à nos vœux éperdus d’amour.

Je détestais ne pas savoir où je m’en allais, encore moins si l’issue du voyage était incertaine. Si je n’avais pas été aussi intriguée et mal prise, j’aurais tourné les talons.

— Belle manière de me faire avaler la pilule de vos fameux portillons!

— Oui, comme votre sirop d‘érable sur vos beans… y m’ont annoncé aussi que le premier s’appelait Réel magicien.

— Réel magicien? Ah bon! Est-ce que ce magicien mange des beans au sirop d’érable lui aussi? Ou il sort un lapin de son chapeau? Et les deux autres?

— Les autres, on va les dénicher à mesure. On s’en va dans l’inconnu c’est pour ça qu’y faut se tenir. Sinon on est défaites.

D’une seule main, Marie a pris deux baguettes chinoises dans le pot en vitre devant elle, comme elle m’avait vue le faire en mangeant. Qu’est-ce qu’elle traficotait? Elle voulait sans doute commander un autre plat pour s’entraîner à manger à la Mao. Mais non! Elle les a brandies en me faisant un clin d’œil :

— On est comme ces bâtons, essayez de manger avec juste un, vous m’enverrez des nouvelles!

— Ha! Ha! Vous avez des exemples pas piqués des vers, vous!

Elle m’a tendu la main au-dessus de la table en souriant de toutes ses dents.

— Oubliez pas qu’on va entrer dans un conte ensemble, ça vous met pas en appétit?

Oui ça m’ouvrait l’appétit et la chaleur de sa main me faisait du bien. Mais ne pas avoir le contrôle et ne pas arriver à mes fins toute seule me faisait bad triper. Par contre, je ne me voyais pas retourner en arrière et retomber dans mon marasme. J’étais prise au piège.

— Mais comment on va faire pour les traverser, ces mausus de portillons?

Le croiriez-vous, cette fois ma question est restée en suspens parce que la Simone d’à côté est venue faire la bise à Marie avant de quitter le resto avec ses proches. Je me serais sûrement bidonnée d’entendre la réponse de notre nouvelle Vierge populaire si cette dame lui avait demandé sa carte de visite. Mon doux qu’elle faisait vieillotte cette Simone bien en chair dans la soixantaine! Avec son chignon à l’ancienne et son veston-pantalon en fortrel brun qui faisait saillir sans gêne ses bourrelets, j’aurais juré qu’elle faisait partie du Cercle des Fermières du coin.  

Marie a pris sa main : « Vous gonflez mon bonheur! » Elle avait les yeux aussi brillants que si elle venait de recevoir le prix littéraire du Gouverneur général ou qu’on l’avait branchée sur le 220. On aurait dit que l’air autour d’elles était devenu chaud et liquide et notre banquette émeraude scintillait tel un bijou. Le grand cœur échevelé se lançait-il dans la décoration intérieure ou la serveuse du Dragon Vert avait-elle mis des champignons magiques dans mon pad thaï? À moins que mon sorbet baptisé par la salive de Marie commence à faire effet… Quand Simone est disparue dans son nuage d’eau de Cologne de Coty, j’ai pensé : si ça continue comme ça, Marie va décrocher le titre de ‘Miss Dragon Vert’!

J’étais impatiente de revenir à nos moutons-portillons. Je devais au moins savoir comment on allait s’y prendre pour les reconnaître.

Les yeux remplis de tendresse, elle a rétorqué :

— On va être au courant. C’est comme quand on tombe en amour, on allume!

Moi qui voulais toujours tomber en amour, mes neurones se sont allumés d’un coup! Soudain, j’ai réalisé que je ne savais rien d’elle. Je lui ai demandé tout de go quel était son désir grand D. Était-il aussi en péril que le mien?

— Marie, il ressemble à quoi votre plus grand souhait?

— Retrouver les miens dans l’azur.

Je n’ai pas osé lui demander si elle vivait vraiment au ciel ou si elle me parlait d’une version éthérée de la Côte d’Azur. De toute façon, quelle que soit sa réponse, je n’aurais pas été prête à la croire aveuglément.

— Et si on ne passe pas le test des PSF, vous ne pourrez pas retrouver les vôtres?

— J’sais pas trop où j’vas retontir.

Je rêvais ou quoi? Ce serait moi qui aiderais Marie à remonter au ciel? Quelle promotion spirituelle! Par contre, comment y arriver?

— Ce que vous êtes en train de me dire, c’est que ça ne vous emballait pas de plonger dans l’humanitaire pratico-pratique?

— C’était pesant sur mes épaules. J’étais tanné d’être une potiche mais j’ragoûte pas de l’incarnation au fond des ruelles,

— Qu’est-ce qui vous a poussé à accepter quand même?

Pour la ragoûter et pour qu’elle fasse vibrer mes cordes sensibles, les PSF l’auraient incitée à prendre des cours de danse, de poésie, de chant et même de slam, d’humour et d’improvisation.

Ça a dû être tout un apprentissage pour vous…

Oui! Ça a l’air qu’y fallait que j’me fasse aller et que j’sois coulante comme l’eau parce que quand ça danse pas dans le corps, ça groove pas nulle part. J’étais au huitième ciel!   

J’ai bien vu ça. Marie s’est levée de sa banquette et s’est trémoussée comme une fillette qui n’en peut plus d’être sage. Sa serviette de table verte est tombée sur ses baskets jaunes comme un confetti. Spontanément, elle s’est mise à chantonner : ‘Ma petite est comme l’eau, elle est comme l’eau vive’… Ahurie et gênée, j’ai jeté furtivement un regard à la ronde pour observer les réactions des autres clients. Les quelques sourires amusés que j’ai rencontrés m’ont rassurée.

Tout à coup, j’ai entendu la voix d’une enfant se joindre à celle de Marie. Je croyais rêver. Lili-Rose, ma petite Haïtienne préférée de Val-de-Grâce s’est avancée dans l’allée en se dandinant avec ses lulus sautillants.Elle m’a souri. Ses fossettes m’ont toujours fait craquer. Je n’ai pas eu le temps de lui dire bonjour, Marie lui a aussitôt tendu une main. Lili-Rose l’a prise sans hésitation pour balancer ses bras chocolat au même rythme qu’elle en chantant d’une voix juste : ‘Courez, courez, vite si vous le pouvez, jamais, jamais, vous ne l’attraperez’… C’était à qui, de Marie ou de Lili-Rose se balancerait avec le plus d’entrain.

Je trouvais ça cucul sans bon sens. Attablés près de nous, certains ont commencé à fredonner la chanson de Béart. Le comble, mon beau Prince a levé le nez de son Devoir et s’est mis à chanter de bon cœur avec les autres! J’étais estomaquée. J’ai bien été obligée de chantonner moi aussi, du bout des lèvres, par contre. Pourvu que personne n’ait vu mon malaise! Moi qui ai toujours rêvé de chanter en groupe, je n’ai jamais su comment me départir du quant-à-soi que je tenais de ma mère et qui avait gâché sa vie. À voir l’effet que Marie produisait sur son entourage, je me suis dit : non seulement le ridicule ne tue pas, mais il attire des fans. Je l’avais-tu pas l’affaire!

À la fin de la chanson, la grand-mère de Lili-Rose lui a fait signe de la rejoindre pour retourner à l’école. Devant la porte de sortie, Lili-Rose nous a envoyé chacune un baiser. La voir glousser de plaisir quand Marie a soufflé sur le sien comme si c’était un pissenlit m’a agacée. Qu’on ne vienne pas me dire qu’elle avait appris à faire ce geste affectueux sur sa Côte d’Azur!

Visiblement amusée, Ting-Ting est arrivée avec notre thé au jasmin. Après l’avoir humé, Marie, encore au huitième ciel, est repartie sur les PSF.

À mon corps défendant, j’étais aussi flattée qu’intriguée d’apprendre que, pour mieux me rejoindre et faire passer son message, on lui aurait fourni des informations pertinentes sur mon parcours personnel et professionnel, les chansons que j’aime et les principaux auteurs, écrivains, musiciens qui ont compté pour moi. Pour faciliter son intégration chez nous, ils lui auraient résumé l’histoire du Québec actuel et même appris à parler québécois. On aura tout vu!

— J’ai étudié vos parlures et vos tournures de langue à la mode. J’en raffole!

— Ma foi,, je n’arrive pas à croire qu’on vous appris tout ça dans l’au-delà! 

— Vous seriez surprise! Vous doutez, Solange?

— Mettez-vous dans ma peau. N’importe qui se poserait des questions…

— C’est sûr! Mais vous êtes pas isolée dans l’inconfort. J’suis entrainée à répondre aux vœux des autres, c’est malaisé de vous demander d’exaucer le mien.

Bon, au moins on était deux à être débalancées! Je ne le crierais pas sur les toits, mais je commençais à ramollir et à rêver en couleurs. J’ai imaginé que mon conte de fées préféré se réalisait à travers ce projet qui me tombait dessus sans crier gare.

Comme dans la chanson d’Aznavour, « J’m’voyais déjà en haut de l’affiche…», mon corps nu ‘photoshopé’ de dos. On me célébrait pour avoir osé montrer mes fesses comme Dany Laferrière sur le poster de ‘Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer.’ Cette excentricité me valait un passage remarqué à ‘Tout le monde en parle’ où l’animateur me présentait comme « une écrivaine méconnue qui vient de publier un roman hallucinant, un mariage croustillant entre Allô Vedettes et La vie des saints dans un style inimitable. » Je me régalais d’avance de la flopée d’admirateurs faisant la queue pendant des heures au Salon du Livre pour avoir ma dédicace et j’imaginais la critique du Devoir culminer sur cet éloge que j’attendais depuis 30 ans : « Enfin, une auteure avec qui le Québec devra maintenant compter!  »

Malgré toutes ces prévisions électrisantes, devoir me soumettre à une autorité restait une beurrée difficile à avaler. Mon aversion n’avait pas dit son dernier mot. Si nous étions en désaccord sur la manière de rapporter les faits, est-ce que ça causerait des frictions entre nous? Et si je devais témoigner de choses pas très catholiques que cette martienne avait vues ou faites dans mon village, est-ce à moi qu’on jetterait la première pierre? Ces hypothèses me traversaient l’esprit comme autant d’éclairs précurseurs d’un orage fatal.

En réalité, j’avais la nausée juste à l’idée de pondre un autre manuscrit qui frappe des murs ou qui tombe dans le vide. Cette fois, je ne me relèverais pas de ma honte. Ou je resterais collée au fond de mon désespoir ou je serais avalée tout rond par ma hargne ou je me jetterais aux poubelles parce que je me haïssais trop.

Marie avait-elle senti mes réticences? Elle s’est approchée et m’a prise par la main.

— Allez, Solange! Le timing est super. Y’a des places où on peut pas aller tout seul…

La chaleur inhabituelle qui se dégageait de sa voix et de son geste m’a retournée comme un gant. Ma nuque, raide comme un poteau de danseuses, s’est détendue d’un coup et ma tête s’est reposée en douce sur mes épaules.

Soudain, j’ai vu mon Prince aux cheveux argenté se lever de sa chaise… et se diriger vers notre table. Victoire! Mais non, il m’a salué brièvement de la tête -j’ai à peine eu le temps de voir qu’il avait les yeux gris- puis il s’est penché vers Marie avec un sourire désarmant:

— C’était sympathique de vous voir chanter avec cette enfant et de chanter avec vous, merci!

Ses joues ont pris feu et elle a baissé les yeux : 

— Bienvenue c’est moins que rien.

Il a effleuré son épaule de sa main puis il a continué son chemin à grandes enjambées, sans un autre regard pour moi. Ouch! Pour cacher son embarras notre sainte, pas si Nitouche que ça, a repris notre conversation comme si de rien n’était. Mortifiée, je n’avais pas plus envie qu’elle de m’étendre sur le sujet.

Pour couronner le tout, Marie m’a offert des conditions de travail qui auraient fait l’envie de mes collègues. Je n’aurais pas à me déplacer (parfait!). La montagne viendrait à moi dès le début mai (incroyable!). Je bénéficierais de tous les droits d’auteur (wow!). Aucun délai de rédaction (super!). Et les échéances pour les chroniques que je devais remettre au magazine ‘L’air du temps’ seraient respectées (ouf!).

Elle me réclamait par contre une discrétion absolue sur notre travail, sous prétexte que les commentaires de mes proches pourraient le biaiser. Cette restriction, que j’ai vite interprétée comme un manque de confiance envers moi, m’a déplu. Je lui ai dit que j’aurais aimé parler de tout ça librement à qui je le voulais bien. J’ai ajouté que j’avais peur de ne pas trouver de lecteurs pour ce genre d’ouvrages qui discréditent souvent leurs auteurs et prêtent flanc à la critique.

Après avoir fait quelques simagrées abracadabrantes au-dessus de son biscuit chinois, d’un ton solennel, Marie a fait mine de lire le message qui y était caché.

 Ôôôh, Solange, les bonzes chinois ont daigné vous répondre : ‘Quand le livre est prêt… le lecteur apparaît! ‘

Sa drôlerie aurait pu me faire flancher. Mais je me sentais comme un câble tiré par deux équipes de souque à la corde. D’un côté, la possibilité de devenir une écrivaine renommée et de rassasier ma soif de sublime. De l’autre, ma volonté d’y arriver sans l’appui d’une célébrité si spirituelle soit-elle, ma crainte de passer pour une groupie sans cervelle sur Facebook ou d’affronter mon ex, un digne représentant des Sceptiques du monde entier.

     Avoir su que je plongerais dans une expérience humaine profonde et non dans une simple aventure littéraire, j’aurais préféré me faire écrabouiller par un 18 roues en rentrant chez moi.

 

 

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